Nous sommes au début de l'année 1995 et à Poudlard, la seconde tâche du tournoi des Trois sorciers aurait bientôt lieu. Remus aurait bien aimé pouvoir être là-bas en ce moment pour y assister lui aussi, voir comment Harry se débrouillait en cours, etc. En fait, il se sentait immensément responsable du fils de son meilleur ami. Il lui était beaucoup attaché. Presque comme un vrai fils. D'ailleurs, si l'on tenait compte du fait que les Maraudeurs étaient comme des frères, Remus était en quelques sortes l'oncle de Harry...

Pour se changer les idées du monde habituel des sorciers auquel il appartenait normalement, allait souvent se promener dans le Londres moldu. Là où il y avait pleins de choses à découvrir. Là où il n'y avait nulle suspicion quant au fait qu'il soit un Loup-garou. Certes, certaines personnes posaient de temps en temps des regards curieux sur ce visage fatigué et surtout sur sa cicatrice qui lui barrait le visage mais généralement, tout le monde était bien trop occupé pour penser à faire attention à qui que ce soit d'autres.

Ce qu'il préférait visiter, c'était les musées d'art et ceux d'histoire. Il aimait l'art et l'histoire. Sans oublier également les bibliothèques dans lesquelles il passait plusieurs heures à feuilleter certains ouvrages. Découvrir des auteurs moldus. Après tout, sa mère ayant été une sorcière d'origine moldue, ce monde était sien lui aussi. C'est ainsi qu'il avait découvert que le monde des moldus regorgeaient de beaucoup d'auteurs. Encore plus que chez les sorciers. Ce n'était pas le même genre de livres. On ne parlait pas de sorcelleries, mais beaucoup de thèmes étaient abordées. Des thèmes communs aux deux mondes, malheureusement.

Il faisait beau en ce mois de Mars. Remus parcourait les nombreuses allées du Brittish Museum, trouvant très intéressant certaines choses moldues et particulièrement intriguant pour d'autres. Puis il alla manger dehors dans le parc à côté le sandwich qu'il s'était acheté. Il y avait beaucoup de jeunes et de moins jeunes. Au loin, il aperçut une classe d'élèves qui jouaient ensembles. Il poursuivit son chemin pour s'asseoir au pied d'un chêne et mangea tranquillement son sandwich en laissant son attention vagabonder... Jusqu'à ce que son regard s'arrête sur un groupe d'élèves et en particulier, à cheval sur une une branche d'arbre et qui semblait bien déterminée à ne pas obéir aux ordres des accompagnatrices...

Il assista en silence et sans bouger. Il vit les deux accompagnatrices finalement détourner leur attention de la petite fille. Remus eut la sensation qu'en fait, tout ce que cette dernière voulait, c'était un peu d'attention. C'était le genre de choses en tous cas que les enfants en manque d'attention étaient capables de faire. Ou alors, elle se croyait des talents de cascadeuse. Le lycan ayant terminé son sandwich se leva, ramassa ses affaires puis se dirigea lentement vers le chemin. Il passerait inévitablement à quelques distances de l'arbre sur lequel la petite fille était perchée. Lorsqu'il y parvint à hauteur, Remus s'arrêta, se tourna légèrement de côté et tout en levant la tête vers la branche où elle se trouvait...

« Tu devrais descendre et écouter tes deux accompagnatrices... Cela peut être dangereux de vouloir jouer aux écureuils quand on est un humain... », fit-il avec sagesse.

Cette petite avait l'air d'avoir un caractère têtu. Qu'y était-il pour lui dire qu'elle ne devrait pas grimper aux arbres ? C'est vrai, il n'était personne... Maintenant qu'il y réfléchissait, il aurait plutôt fait de continuer sa marche sans s'arrêter. Il ne savait même pas pourquoi il s'était approché. Sans doute simplement à cause de cette volonté qu'il avait de toujours rendre service, aider les gens ou les conseiller.

Debout sur la branche de cet arbre, Remus avait franchement peur qu'il arrive malheur à cette petite fille. Et puis, ces femmes étaient-elles ses professeurs ? Dans ce cas il irait bien leur dire deux-trois mots parce que c'était bien irresponsable de se détourner ainsi de l'une des petites filles sur laquelle elles étaient censées veiller. Il pourrait arriver n'importe quoi. Il les avaient observées de loin et cela l'avait prit au dépourvu. C'était révoltant... D'ailleurs, peut-être que cette tendance à se mettre en avant, n'était qu'une façon d'essayer d'attirer l'attention sur elle, le moyen de se sentir vue, le moyen d'exister. Il l'avait déjà observé chez certains enfants par le passé.

Il n'empêche qu'il avait envie d'aller dire quelques mots à celles qui se disaient « accompagner » ces enfants. C'était certainement une classe qui était en voyage à Londres. Une classe d'enfants moldus peut-être. Oui, c'était des moldus, il en était certain. Une seule petite minute d'observation lui avait suffit pour savoir qu'il s'agissait de moldus. Les sorciers avaient toujours quelque chose qui les distinguait, quand bien même désiraient-ils se dissimuler dans la foule. Aussi avait-il tout de suite su que cette classe n'était composées que de moldus. Quoique, il s'était demandé si certains enfants pourraient être des futurs sorciers. A l'âge que la plupart avaient, ils n'avaient sans doute pas eu encore leurs pouvoirs... Alors peut-être que certains seraient « choisis ». Comment ce choix s'effectuait-il ? Comment la Magie naissait en des individus, c'était une très bonne question. Quoiqu'il en soit, il était possible que certains soient des futurs apprentis sorciers...

La petite fille semblait avoir une forte tête. Elle avait toutefois raison et elle avait bien retenu une règle fondamentale, à savoir qu'il ne fallait pas qu'elle parle aux inconnus. Pas certain que ce soit ses professeurs qui le lui avait appris mais au moins le message était passé. Cependant, si Remus était un inconnu, il ne lui voulait aucun mal mais cela, elle ne pouvait pas savoir. Son attention fut cependant retenue lorsque tournant la tête vers lui et posant les yeux sur lui, elle commença à dire quelque chose mais s'interrompit tandis qu'elle perdait l'équilibre et tournait autour de la branche. Pensait qu'elle tomber, le lycan se rapprocha de l'arbre pour la rattraper mais ce ne devait pas être la première fois qu'elle escaladait ou après ou alors elle avait de très bons réflexes. Pourquoi lui avait-elle demandé de ne pas partir, il n'en savait fichtre rien. Il ne savait pas davantage ce qu'elle avait voulu lui montrer et à vira dire, cela lui échappa totalement lorsqu'il la vit suspendue à cette branche tel un vulgaire koala et manquant de tomber.

Que fit-il lorsqu'elle lui demanda de l'aide pour descendre de l'arbre ? Evidemment il se rapprocha, tendit les bras vers le haut, vers la branche et l'aida pour descendre. Elle retrouva la terre sous ses pieds et il la relâcha là. « Tu ne vas pas mourir voyons...  D'ailleurs, viens par là...» Il lui saisit la main et l'entraîna vers le groupe plus loin composé des autres enfants et des adultes qui étaient censés être responsables de cette petite fille. Les trois femmes le regardèrent se rapprocher. Enfin, deux lui tournaient le dos mais la troisième, de face, le vit arriver avec Ashley. Lorsqu'il fut près d'elles, il la leur rendit.

« Laisser une enfant ainsi dans un arbre au risque qu'elle se rompt le cou et sans même essayer de la faire descendre ? J'espère pour vous que vous n'avez pas d'enfants. Vous avez déjà fait de la psychologie ? Dans ce cas-là, vous méditerez les paroles suivantes : quand un enfant fait tout pour se faire remarquer, c'est souvent pour de plus profondes raisons qu'il n'en paraît. »

Et se détourner d'eux n'est certainement pas une solution.

Il n'avait personnellement pas d'enfants mais il fallait être juste fin observateur pour s'en rendre compte. La plupart du temps c'était parce qu'il avait besoin qu'on le remarquer  ou qu'on essaie de le comprendre ; parfois ce pouvait être même un appel au secours. « Sur ce, je vous souhaite une bonne journée... » Et en espérant qu'elles en aient retenu la leçon.

Remus n'en revenait toujours pas qu'elles aient osé laisser cette petite fille ainsi. Même si elle était de nature très disciplinée, ce n'était pas une raison pour l'abandonner ou la laisser faire ce qu'elle voulait. Sans compter que si elle se comportait ainsi, il y avait forcément une raison particulière. Elle cherchait à attirer l'attention – involontairement – sur elle et ce n'était jamais anodin ce genre de choses. Pour ce qui le concernait, Remus n'avait jamais été un enfant discipliné. Il avait été au contraire très sage. Même dans la bande des Maraudeurs, c'était lui qui restait le plus sage... Sauf les fois où ses amis le traînaient avec eux dans leurs quatre cent coups. Enfin, disait-il, c'était uniquement pour les « tenir à l'oeil ». Il n'empêche que c'était l'époque sans nul doute à laquelle il s'était le plus amusé... Une époque qu'il n'oublierait jamais.

Mais quoiqu'il en soit, dans sa vie, il avait déjà croisé des enfants turbulents et ce n'était jamais pour rien qu'ils étaient ainsi. La chose qu'il fallait faire dans ce cas présent, c'était de s'assoir avec eux, de leur parler, de passer un peu de temps avec eux pour qu'ils se sentent écoutés et non exclus. Ce n'était pas en sentant exclu qu'ils allaient au contraire cesser de faire des bêtises... Tout le monde avait le droit de se sentir exister et compris. Remus pensait encore mieux comprendre cette attitude en particulier parce que lui, pendant presque toute son enfance, on l'avait mis à part justement et on l'avait effacé. Juste parce qu'il était différent, parce qu'il était bizarre... Même les enfants le montrait du doigt en lui demandant ce qu'il avait sur le visage et pourquoi. « C'est pas beau, c'est quoi que t'as ? » « Pourquoi tu as ça ? Il t'est arrivé quoi ? » « Tu es tombé » ?... Il n'avait rencontré aucune amitié, juste de la curiosité. Et la dernière chose dont il avait besoin c'était qu'on lui pose toutes ces questions. Il n'avait pas forcément besoin qu'on lui rappelle constamment ce qu'il était.

Il avait souvent envie de pleurer, quand il était enfant. Mais en grandissant, il avait appris à se durcir et à devenir plus fort ; il avait réussi à cacher son émotion. Il n'avait pas le droit à l'erreur de toutes façons : il devait être fort. Pour lui, pour sa mère. Il y avait assez de sa mère à pleurer, il ne pouvait pas y avoir une autre personne... C'est ainsi que Remus, à l'âge de sept ans, commença d'acquérir la maturité d'un adolescent de quinze ans. Il devait remplacer son père qui n'était plus là pour protéger sa mère...

L'école. Les autres... Même les enfants pouvaient être cruels. Il avait d'ailleurs supplié sa mère de ne plus l'emmener dans cette école, que les autres ne le comprenaient pas et qu'il voulait rester avec elle à la maison. Les seuls moments où il pouvait se sentir exister c'était en étant dans sa chambre seul, ou quand il était avec sa mère qui lui racontait des histoires. Il pouvait s'imaginer dans un autre monde, dans la peau de personnages imaginaires qui n'avaient pas le problème qu'il avait. Quand on avait le problème de ne pas être compris par la moitié de la Terre, c'était un réel soulagement de pouvoir ainsi se réfugier. Il n'avait, par la suite, jamais perdu l'habitude de lire...

Le lycan allait partir, mais il s'immobilisa lorsqu'il entendit la voix de la petite fille derrière lui et intrigué, il se retourna lentement. Elle lui disait de l'attendre et il se demanda quelle en était la raison. Sans doute pour le remercier de l'avoir sauvée, il ne voyait que cela. Il lui répondrait alors que c'était normal et qu'elle n'avait pas à le remercier. Il ajouterait cependant qu'il fallait qu'elle fasse bien attention par le futur... Les enfants n'avaient pas vraiment la même notion du danger et ils connaissaient pas encore leurs limites. Ils pouvaient franchir la frontière du danger sans même s'en rendre compte et ainsi, ils pouvaient se faire énormément mal...

Remus baissa la tête, surprit de trouver la fillette accrochée à son pantalon comme pour l'empêcher de partir. Il l'entendit alors lui dire qu'elle avait quelque chose à lui montrer à voir comment elle s'accrochait à lui, il ne doutait pas que ce soit pas très important... Elle le relâcha, après lui demander à ce qu'il ne parte pas. Pas tout de suite en tous les cas. N'ayant aucun rendez-vous de prévus de toutes façons, il ne serait pas en retard s'il attendait cinq minutes, se dit-il tandis qu'il voyait la fillette se mettre à fouiller dans ses poches. Remus su qu'il s'agissait d'une vieille photographie avant qu'elle ne la lui montre mais il ne voyait décidément pas ce qu'il avait à voir avec...

Cependant, lorsque ses yeux se posèrent sur la photographie, il se demanda s'il rêvait. C'était impossible, comment cette photo était arrivée là... C'était bien lui dessus, avec au moins quinze ans de moins. Il aurait un grave problème psychologique s'il n'était pas capable de se reconnaître, même avec quinze ans de moins. Il avait pourtant, à l'instar d'aujourd'hui, une certaine lueur dans les yeux. Quelque chose qu'il n'avait pas aujourd'hui. Quelque chose comme de l'espoir. Il se sentit intérieurement extrêmement mal à l'aise alors que plusieurs flashs se succédaient dans son esprit. Il se souvint brusquement du jour où cette photo avait été prise... Il se souvenait aussi de ce trajet en train ; ce voyage qu'il avait fait en compagnie d'une jeune femme, celle de la photographie. Il se souvint de ces quatre mois qu'ils vécurent ensembles. Il se souvint de l'enfant... L'enfant qu'ils auraient pu avoir... Et il se souvint ensuite des ténèbres qui étaient arrivées brusquement, ce jour de 1981.

« … Tu, tu as dit quoi ? C'est ta, ta mère... ? »

Remus semblait en quelques sortes bloqué sur la photographie, se disant que c'était impossible que ce soit lui sur la photo. Impossible. Pourtant, il se reconnaissait et puis au fond de son esprit, il savait que c'était lui quand bien même essayait-il de se convaincre du contraire. Il pensait cette histoire passée pour de bon, rangée dans un fond de tiroir, très loin dans son esprit ; il pensait ne jamais en réentendre parler. Il n'avait nulle envie de replonger, certainement pas dans ce genre de souvenirs qui ne lui avaient jamais apporté de bien au final. Il n'avait pas envie de repenser à cette tragique histoire. C'était fini. Il pensait ne plus rien à y avoir affaire dedans... D'ailleurs c'était vrai. Il n'avait plus rien à faire dedans. Ce n'était pas son histoire à lui. A partir du moment où elle avait choisi de partir, à partir du moment où il avait retrouvée sa trace et où en étant retourné en Ecosse, il les avait vues.

Elle avait refait sa vie et elle avait même une fille. Il avait l'intention d'aller lui parler, mais en voyant ce spectacle il avait changé d'avis et était repartit sans même se montrer. Quelques années plus tard voilà qu'il recevait encore des nouvelles et quelles nouvelles puisque la lettre lui annonçait qu'elle était décédée en laissant sa fille derrière ? Cette histoire n'allait jamais le laisser tranquille ? La peur l'avait rattrapée et il avait préféré brûler la lettre plutôt que d'y donner réponse. Cela ne le regardait plus. Il avait d'ailleurs mis toutes les photos de cette période au fond d'un vieux carton et il avait réussi à chasser tout ceci de son esprit. Mais non, il fallait qu'aujourd'hui, il retombe sur sa fille... Et en y réfléchissant bien, elle avait ses yeux.

Remus sentit sa mâchoire se crisper tandis qu'il aurait voulu se trouver à des milles d'ici, ne jamais être venu manger dans ce parc. Toute sa vie il avait appris à fuir dès que les émotions devenaient trop intenses car un trop plein d'émotions empêchait de réfléchir correctement. Pourtant il demeura là, sans bouger, les pieds comme ancrés dans le sol. Cette petite lui faisait de la peine... Il ne l'avait aperçue qu'une seule fois sans lui avoir parlé mais même s'il ne la connaissait pas, il ne pouvait s'empêcher d'être touchée par son regard qui semblait presque appeler à l'aide. A la façon dont elle le regardait, elle semblait attendre avec espoir qu'il lui confirme qu'il était bien celui qu'elle disait. Peut-être que...

En d'autres circonstances il aurait sourit à sa remarque. Evidemment, pourquoi garderait-elle sur elle une photo d'une dame inconnue... Mais Remus était encore sous le choc et son visage avait perdu le peu de couleurs qu'il possédait déjà habituellement. Il laissa la fillette se rapprocher, s'appuyer sur son bras et lui montrer du doigt les deux personnes l'une après l'autre, accompagné d'une petite explication. Cela lui faisant plus de mal que de bien, il cessa de regarder la photo et laissa la petite fille la reprendre. Il restait perdu, perplexe, ne sachant qu'en penser. Son regard était troublé. Il n'entendit qu'à peine la voix d'une des accompagnatrices qui s'étaient rapprochées pour venir chercher Ashley.

Ce fut lorsque la petite s'adressa de nouveau à lui, soulignant le fait qu'il paraissait encore plus malade que d'habitude, qu'il émergea de ses pensées et revint à la réalité. Cette remarque lui créa comme une petite décharge électrique lorsqu'il prit conscience de l'état dans lequel il devait vraiment paraître à ces gens. Il tenta alors de se recomposer un meilleur visage tout en se relevant. Ravalant sa salive, il se rapprocha d'eux en les interpellant.

« Attendez, je... » Il s'interrompit subitement, se trouvant tout à fait ridicule d'ainsi commencer sans même avoir réfléchi vraiment à ce qu'il voulait dire. Pendant quelques secondes, il demeura silencieux. « Je... Je connaissais sa mère. » Le lycan ressentit soudain un embarras plutôt important lorsqu'il sentit que les regards se faisaient de plus en plus insistants, et intrigués, sur lui. Il n'aimait pas être le centre de l'attention de tous ; il ne l'avait jamais aimé... En particulier parce que ces regards étaient souvent moqueurs. Alors quand il était enfant, il avait fait en sorte de n'être que l'ombre de son ombre, de rester discret pour qu'on le remarque le moins possible. C'était de cette façon qu'il parvenait à être le plus heureux. Sans le regard des autres sur lui. « Attendez, je sais ce que ce que vous vous dîtes mais vous vous tromper. Ce n'est pas moi le père. » reprit-il afin de dissiper les doutes ou d'anticiper une quelconque question de ce genre.

1981. Remus se souvenait encore de la date. C'était l'année où tout avait fini, où elle était partie. Et étant donné l'âge de cette petite qui avait quatre ans (c'était ce que venait de dire la femme), elle serait donc née en 1991. Dix ans d'intervalles... Pas la peine d'être un as en arithmétique pour se rendre compte que ce ne pouvait être son père !

Il se souvenait... Il n'avait pas envie de se souvenir du tout parce que ces souvenirs restaient bien trop douloureux pour lui encore aujourd'hui, parce qu'il avait cru qu'ils étaient définitivement loin, mais ce n'était pas le cas. Il avait cru qu'il pouvait tout oublier et repartir de zéro, mais d'un seul coup, tout cela lui revenait en pleine figure. Ce n'était la faute de personne et certainement pas de la fillette qui n'avait évidemment rien fait pour cela et qui ne pouvait même pas savoir combien c'était dur pour elle d'avoir une réplique miniature d'une personne qui avait un jour beaucoup compté pour lui. Il n'empêche qu'il avait cru tout cela lointain alors qu'il n'en était rien... S'il avait pu se douter que ce jour-là il l'aurait croisé, il aurait rebroussé chemin, serait resté au lit ce matin et n'en aurait bougé de la journée. Il aurait évité de venir marcher et déjeuner dans ce parc... Il aurait été manger ailleurs.

Il vit l'expression de surprise se peindre sur le visage de la femme et il fronça lui-même les sourcils. N'avait-elle pas pensé que ce pouvait être le lui le père ? Peut-être avait-il trop anticipé... Peut-être n'avait-elle pas cru cela. Parce qu'en fait, cela crevait les yeux qu'ils ne se ressemblaient en rien. Par contre, elle ressemblait beaucoup à sa mère et c'en était assez perturbant... Raison de plus pour qu'il eut désiré encore plus n'être jamais entré dans ce parc. Quelle idée avait-il donc eu là ! A présent il était coincé. Il pouvait toujours fuir, comme il l'avait toujours fait, prétendre qu'en fait il s'était trompé, qu'il ne connaissait pas sa mère et qu'il n'était pas cet homme sur la photo, il pouvait juste se reprendre et dire qu'il avait juste voulu faire plaisir à la fillette. Comme la femme le lui avait dit. D'ailleurs, la fillette avait sauté sur l'occasion et sautillait pour montrer à la dame que « si, elle avait raison ». Elle lui avait mis sous le nez sa photo pour qu'elle compare ben les deux messieurs sur l'image. Remus eut envie de s'enfuir avant que la dame confesse qu'en effet il y avait une similitude, mais il ne le fit pas. Sûrement sa bonne conscience.

Fronçant un sourcil en regardant la petite fille se rapprocher et s'adresser ensuite à lui, il ne fut pas certain d'avoir envie de répondre à ses questions. Il doutait sincèrement que ce n'était que le début d'une suite de questions auxquelles il n'avait aucune envie de répondre aussi n'avait-il guère envie d'entrer dans cette spirale. Il aimait bien le naturel avec lequel les enfants disaient les choses qu'ils voulaient sans s'embarrasser et on ne pouvait rien leur dire car comment être fâché contre un enfant... ? Leurs mots ou leurs façons de dire faisaient même sourire. Ils ne pensaient pas au mal volontairement quoique, en fait Remus se souvenant de l'attitude de certains enfants vis-à-vis de lui pendant qu'il était à l'école primaire, on pouvait clairement dire que certains enfants étaient méchants. Mais là encore ce n'était dû qu'au reflet de la mentalité des parents. L'opinion d'un enfant était influençable. Ils vous croirait facilement sur tout ce que l'on vous disait... Même si Remus misait sur la sincérité.

« La dernière fois que j'ai vu ta mère c'était en 1981. » répondit-il simplement à l'adresse d'ashley qui lui avait demandé, avec espoir, pourquoi il pensait ne pas être son père. Il était vraiment désolé qu'elle ne connaisse pas son vrai père mais il ne pouvait rien contre cela que de répondre la vérité même s'il voyait sur son visage qu'elle aurait aimé pouvoir le connaître. « et ça fait plus de dix ans que je ne l'ai pas croisée. » En n'omettant le jour où après avoir reçu cette fameuse lettre, il était monté en Ecosse et les avaient aperçus... « Tu as... Cinq ans, n'est-ce pas ? »

Plus de dix ans qu'il ne l'avait pas croisée. Son estomac se serra légèrement et douloureusement. Ce n'était pas tout à fait exact mais cela, elle ne pouvait pas savoir et d'ailleurs jamais personne ne saura qu'il était un jour grimpé jusqu'à Glasgow et qu'il l'avait vue, là, au loin. Avec une petite fille dont il ne douta pas que ce devait être sa fille. Il aurait pu même lui-même en avoir une, ou un fils, il ne savait pas et ne le saurait jamais. C'était il y a longtemps, très longtemps. Son potentiel enfant n'avait même pas eu le temps d'apprendre ce qu'était la vie... Quoiqu'il en soit, même s'il n'était jamais né, cela avait été un coup très dur pour lui, et dans leur couple. Il comprenait que pour elle c'était encore plus dur.

Il ne s'était cependant pas attendu à la voir quitter la maison comme ça, sans prévenir... Il aurait au moins voulu qu'elle lui fournisse une explication, mais y en avait-il ? Et peut-être qu'elle ne s'en sentait pas capable. Cependant, lorsqu'ils l'avait revu, avec un autre enfant, il s'était sentit un peu jaloux oui peut-être, blessé et il avait eu également la sensation qu'on lui avait volé sa vie. Aujourd'hui, son cœur était morcelé et seul un véritable et sincère amour pourra jamais le recoller. Encore faut-il qu'il accepte d'aimer à nouveau, ce qui se révèle plus facile à dire qu'à faire... Car quand on a trop souffert, on a tendance à se refermer sur soi-même.

Alors même si cela pouvait la décevoir, il fallait bien dire la vérité et la vérité était qu'il n'était pas son père, et qu'il n'avait même jamais eu d'enfants. Il vit une expression furtive passer sur son visage mais il n'y pouvait absolument rien. Il se sentait parfaitement incapable de mentir, surtout sur une chose de cette importance. Il détestait raconter des histoires aux gens, les faire espérer pour rien. Même si cela leur ôtait un espoir. La Vérité valait toujours mieux qu'un mensonge. Au moins elle comprenait. Le lycan esquissa un sourire. C'était plus facile qu'il l'avait pensé. Cette petite était déjà très intelligente.

Elle avait presque cinq ans. La directrice vint au secours de la fillette car elle ne souvenait plus de sa date d'anniversaire. Comment savait-il ? Il haussa les épaules. Il avait deviné c'est tout. A vue d'oeil, son œil oscillait plutôt entre quatre et cinq à son avis, donc il avait vu juste. « Simple déduction. » fit-il pour réponse avant d'entendre Ashley continuer en lui demandant de nouveau son prénom. Tiens, cela lui avait échappé ; il avait omis cette question. « Je m'appelle... Remus. On va dire que j'ai un peu près le même âge que ta mère. » Il n'aimait pas dire son âge... De toutes façons, on lui donnait toujours quelques années en plus. Les épreuves de la vie et les souffrances l'avait marqué à vie. « Et pour tout dire, dans un train à destination du nord de l'Angleterre que je l'ai rencontrée, donc je doute que cela t'aide en quoique ce soit... Je suis désolé pour toi, j'espère que tu finiras par rencontrer ton papa... », termina t-il avec sincérité à la fillette tout en esquissant un sourire.

La joie des enfants était communicative. Il ne se souvenait plus avoir été aussi innocent que l'étaient normalement tous les enfants. Il avait très vite appris quelle était la réalité du monde, de la société dans laquelle il était né. Il avait dû faire avec, vivre avec ce fardeau sur les épaules et faire « comme si » que tout allait bien, que rien ne le touchait même s'il n'en était rien. Quand il avait trois, quatre, cinq ans, il avait été un enfant énergique animé par la vie et à l'innocence dû à sa jeunesse. Mais tout cela s'était très vite envolé. Du jours au lendemain. Envolé à jamais. Envolé pour ne plus jamais revenir. Il avait dû s'adapter. Il avait dû lâcher trop tôt cette innocence. Il avait dû grandir, devenir un homme plus tôt que prévu.

Remplacer son père, partit sûrement à cause de sa culpabilité dans cette affaire et dans son dessein de vengeance contre Greyback, et s'occuper de sa mère dont la santé commença à vaciller dès la disparition de son mari. Ce n'était pas la tâche d'un enfant... Pourtant il avait dû endossé ce rôle. Peut-être pour cela qu'il aimait être aux côtés des enfants... peut-être que cela lui redonnait un semblant de vie qu'il aurait pu connaître mais qu'il n'avait pu. S'assoir, enseigner à des enfants, cela lui donnait l'impression de recouvrer ce qu'on lui avait volé trop tôt. Il n'était pas normal ; il n'avait plus été un enfant normal à partir d'une certaine période. Il n'était pas non plus un adulte normal. Quand il s'apercevait dans un reflet quelconque, il ne voyait pas un adulte normal.

Quelqu'un qui avait trop souffert sans doute, quelqu'un accablé par une malédiction qui jamais ne le lâchera, quelqu'un qui ne se plaignait et ne se plaindrait jamais ; quelqu'un qui avait appris à encaisser les coups et à sortir grandit même. Avec le temps, on apprenait à ne plus faire attention au regard des autres. On voyait toujours la pitié, le mépris mais on n'y faisait plus gaffe. C'était des choses habituelles. Il ne répondait plus non plus. Il avait appris que le silence étaient la meilleure des solution à toutes les provocations.

Quand il était petit, au début, il lui était arrivé de se bagarrer une fois, parce que l'un de ses camarades avait été méchant et s'était moqué de la longue cicatrice qui ornait son visage. C'était deux semaines après « l'accident » après son séjour à l'hôpital où il avait été gardé en observation. Il avait senti ses yeux se brouiller mais plutôt que de lui montrer que cela le touchait de cette manière, il lui avait sauté dessus pour le frapper. Ils en était ressortis indemmes outre quelques bleus et la lèvre entaillée. Remus n'avait plus remis les pieds dans cette école. Ils avaient même déménagé. Ils étaient allés habiter à Londres, quittant la maison dans laquelle il était né. Il avait appris à jouer la discrétion, à ce qu'on ne fasse même plus attention à lui. Mieux valait ne pas attirer l'attention sur soi si on voulait avoir la paix... Il avait depuis ce jour courbé l'échine. A contrario, dès son entrée à Poudlard, il s'était mis à travailler comme un forcené, à étudier tous les livres de la bibliothèque qui lui tombait sous la main. Comme s'il voulait montrer que Dumbledore n'avait pas eu tord de lui faire confiance et qu'il méritait sa place ici autant que n'importe qui. Résultat, il était devenu bon. Même très bon.

Dépité, il observa la fillette lui dire qu'il devrait sourire plus souvent et qu'il avait un joli sourire… L'innocence de l'enfance c'était cela aussi : dire les choses comme ils le pensaient. Cela aurait été « quelqu'un d'autre » qui le lui aurait dit, il se serait mit à rougir comme un imbécile. Certes, il devait reconnaître ne pas sourire souvent d'accord, mais cela lui arrivait quand il était avec des amis. Sans compter qu'on ne va quand même pas sourire sans raisons au risque de passer pour un idiot.

Fronçant ensuite un sourcil en la voyant marcher et le dépasser, le lycan restait un peu triste qu'elle ne connaisse pas son père. Une chose était certaine, si les choses en avaient été autrement, il serait sûrement resté avec celui qui était son enfant. Du moins, malgré la peur qui le tiraillait de ne pas être assez bien pour élever quelqu'un, pour être un père normal. Il y a des années, il s'était posé ces mêmes questions qu'un père se posait lorsqu'il allait avoir un enfant et il avait choisi de rester. Et alors qu'il s'était persuadé qu'il pouvait être un père presque comme les autres, voilà qu'on lui enlevait son fils. Et voilà que peu après, sa fiancée disparaissait. Il se retrouvait de nouveau seul pour découvrir quelques années plus tard, qu'elle avait eu un enfant avec quelqu'un d'autres... Et elle ne lui avait jamais donné de nouvelles. Evidemment, il ne pouvait lui en vouloir maintenant. Pouvait-on vraiment en vouloir à quelqu'un qui n'était plus là, qui était mort ?

Il entendit sa petite voix lui parvenir et il écouta avec attention. Pauvre petite. Sa mère n'était plus là, et elle ne savait même pas qui était son père... Lui il avait connu sa mère il y avait si longtemps et voir la fillette ravivait d'une certaines façons son souvenir, alors que pouvait-il faire de toutes façons pour l'aider ? Il ne pouvait pas l'aider. La petite avait les yeux brillants. Il était évident qu'elle se retenait de pleurer et il s'étonnait d'ailleurs qu'elle ne l'avait pas déjà fait parce qu'à cet âge, on était plus facilement émotif. Le pire c'était qu'elle continuait quand même de sourire mais il connaissait bien ce sentiment d'être triste à l'intérieur et pourtant de continuer à sourire. Il fut touché par ses mots qui voulaient faire croire qu'elle allait bien alors qu'il n'en était rien... Parce que même si elle le disait, et bien c'était évident qu'elle aimerait quand même connaître son père. Dans son for intérieur, il se dit qu'il allait essayer de faire des recherches de son côté... Il se rendit compte à cet instant que la femme de l'orphelinat s'était éloigné pour aller s'occuper de deux autres enfants plus loin qui se chamaillaient.

Il fut surprit de l'entendre dire qu'elle allait lui raconter un secret. Elle ne le connaissait même pas... Elle venait juste de le rencontrer et elle voulait déjà lui confier quelque chose qu'elle ne disait à personne parce qu'ils ne pouvaient pas la comprendre. Comment pouvait-elle savoir d'ailleurs que lui, il pouvait la comprendre ? Le lycan demeura légèrement sidéré de cette confiance presque aveugle. Heureusement pour elle, il comprenait cette impression de ne pas être normal et que les autres enfants ne pouvaient le comprendre... Poussé par une sorte d'instinct (paternel?) inconnu, il s'accroupit à sa hauteur avant de lui dire doucement.

« Je comprends ce que tu veux dire... Enfin, je crois. Qu'est-ce que tu entends par, je ne suis pas comme les autres... ?  Tu as l'impression de ne pas appartenir à ce monde ? Que ta place n'est pas ici ? »

Il songea qu'elle n'était peut-être pas moldue comme les autres. Hormis que, quatre ans, c'était encore un peu jeune pour avoir ses pouvoirs magiques... Généralement c'était aux environs six ans. En ce qui le concernait, il avait cinq ans et demi lorsqu'il avait montré la première fois des pouvoirs magiques.

Pour quelle autre raison sinon pourrait-elle se sentir différente ? Elle ne pouvait cependant pas déjà les avoir eus...

L'impression d'appartenance à un lieu, à un monde pouvait être en chacun inconsciemment, sans savoir pourquoi jusqu'au jour où... Jusqu'au jour où l'on se sentait vraiment à sa place. Remus n'avait jamais pu se lier avec les enfants de son école parce qu'il n'étaient pas pareils que lui, parce qu'ils ne le comprenaient pas et qu'ils se moquaient de lui. Même s'il aimait aller à l'école, tous les jours il n'avait pas envie d'y aller. Il aurait préféré apprendre à écrire, à lire à la maison, tout seul. Pourtant, sa mère ne voulait pas qu'il se renferme sur lui sur le fait qu'il était devenu un peu différent des autres... Elle lui répétait qu'il devait s'ouvrir, accepter les autres dans sa vie. Comme Remus le lui répondait à chaque fois, ce n'était pas lui qui ne voulait pas d'eux dans leur vie, c'était eux. Il ne voyait pas comment ils pouvaient le comprendre...

Même s'il avait manqué d'un père durant son enfance, il avait toujours eu sa mère avec lui malgré sa santé plutôt fragile dès lors que son père les eus quittés. Néanmoins, il pouvait savoir ce que cela faisait de vivre sans un parent. Le vide que cela faisait. Mais quand on perdait les deux ? Il ne savait pas que dire, ou même s'il était la bonne personne à qui parler. Il savait écouter, il savait comprendre, et ces deux choses réunies étaient déjà beaucoup plus que ce dont étaient capables beaucoup de personnes. En effet, généralement, les gens ne cherchaient pas vraiment à comprendre leurs semblables. Ils cherchaient encore moins parfois à comprendre les enfants. Les enfants étaient peut-être plus petits que les adultes mais ils pouvaient connaître quelques problèmes eux aussi... Il fallait savoir les écouter. L'incompréhension pouvait mener très loin. A cause de « l'incompréhension », il y avait eu déjà tant de guerres... Tous mondes compris.

C'est avec surprise que la petite fille lui répondit « Comment tu sais ?! ». Il marquait un point sans même le savoir. En tous les cas, cela la mit en confiance pour poursuivre ses confidences. Restant silencieux, il la laissa continuer. Il ne fallait pas arrêter les gens quand ils commençaient à parler au risque qu'ils se vexent et qu'ils se murent finalement dans leur silence. Son problème venait en fait que les familles lui demandaient de les appeler papa et maman mais qu'elle ne voulait pas parce qu'elle ne voulait pas remplacer ta maman... D'un côté, il fallait comprendre les familles aussi. Si elles adoptaient un enfant, c'était parce qu'elles ne pouvaient pas en avoir elles-mêmes. Par conséquent, si elles adoptaient, c'est qu'elles voulaient qu'un enfant les considère comme un papa et une maman. Elle, elle était triste sûrement, mais eux aussi et elle pensait qu'ils la forçaient...

« Je ne crois pas qu'ils t'obligeaient vraiment... Ils voulaient y croire. Les personnes qui adoptent des petits enfants comme toi généralement, c'est qu'ils ne peuvent pas avoir d'enfants malgré leur désirs et bien souvent ils en sont très tristes. Ils veulent juste essayer d'être parents malgré tout et ils n'ont la solution que d'adopter des enfants qui ont eux-mêmes perdu leurs parents. Après tout, on ne peut voler les enfants, n'est-ce pas ? Ce serait très mal. Ils leur fournissent une maison et de la tendresse... Ils ne veulent pas remplacer, ils veulent simplement une famille. Ce ne sont pas leurs vrais enfants mais ils veulent s'occuper d'eux comme si c'était leurs vrais. Il n'y a pas de mal à vouloir avoir une famille... Cela ne t'oblige pas à oublier ta mère. Je suis d'ailleurs sûr qu'elle serait bien plus triste de te voir seule que de te voir avec quelqu'un qui s'occupe de toi comme elle s'occuperait, elle, de toi. »

Tout en restant accroupit à côté d'elle, il releva la tête pour regarder autour de lui afin de voir où se trouvait la femme qui s'occupait de la surveillance des enfants. Elle était toujours occupée. Elle discutait avec l'une de ses collègues un peu plus loin, vérifiant sûrement du coin de l'oeil tout de même ce qui se passait par là et si Ashley ne faisait pas de bêtises. Puis, le lycan reporta son attention sur la fillette en lui disant.

« Tu veux que je te raconte une histoire ?» Il attendit quelques secondes son accord avant de poursuivre. « C'est l'histoire d'un petit garçon que j'ai connu il y a de cela bien longtemps. Il m'a raconté son histoire. Il vivait avec son papa et sa maman dans une maison bien tranquille. Dans un petit village. Malheureusement, un accident eut lieu au bout de quelques années et sa vie changea complètement du jour au lendemain. Il devint un petit garçon totalement différent de celui qu'il était auparavant, vivant, joyeux... Il devint renfermé, solitaire... Il ne pensait pas que l'on pouvait le comprendre alors il ne se donnait pas la peine d'aller voir les autres et leur parler. Les autres petits enfants ne faisaient rien non plus d'ailleurs pour l'approcher... Comme s'ils en avaient peur. Alors qu'au fond pourtant, le petit garçon ne cherchait qu'à se faire des amis. Il voulait qu'on lui donne une chance... Il n'en a jamais vraiment eu depuis cet incident. Il ne se sentait pas à sa place là où il était, sauf lorsqu'il était avec sa maman. Pourtant, à force de patience et de temps, les choses ont changé le jour où il est entré au collège. On lui a donné une chance de le comprendre. Il a trouvé des amis. Des amis sur qui il a pu compter pendant de nombreuses années. Un jour ou l'autre, on trouve tous sa place. »

Il n'était pas habitué à rester assis à côté d'un enfant et lui raconter une histoire... Encore moins quand cette histoire n'était autre que la sienne. Il n'avait pas envie de trop la détailler. Pour la simple et bonne raison qu'il y avait des choses dont il n'avait pas lui-même envie de raconter et de se souvenir. Il avait juste voulu la rassurer et lui faire comprendre qu'un jour elle aussi aurait des amis et qu'elle trouverait sa place quelque part même si le souvenir de sa mère ne la quitterait jamais. D'ailleurs, on ne lui demandait pas de l'oublier. Essayer était même impossible. Essayer d'oublier une personne qui comptait pour nous, ou avait compté, l'était encore plus... On pouvait tenter de ne pas y penser mais on ne pouvait pas l'interdire de sa tête. Et puis c'était nos souvenirs – bons ou mauvais - qui forgeaient notre futur. C'était les épreuves que l'on traversait qui construisait notre caractère, notre personnalité.

Il se demanda s'il n'aurait pas plutôt dû tourner trois fois la langue dans sa bouche avant de parler lorsqu'elle l'assomma pour ainsi dire de pleins de questions dès qu'il eut terminé son récit. Il aurait dû le prévoir, elle était curieuse maintenant de l'identité du garçon, de ce qui lui était arrivé, où il était à présent, s'il était grand, s'il avait des amis encore aujourd'hui... Les questions les plus complexes venaient après : s'il était marié, avait des enfants... ou s'il était triste et tout seul. Pourquoi les enfants posaient-il autant de questions ? Et pourquoi diable avait-il été lui raconter cette histoire ? Son envie d'aider les autres allait finir par le perdre un de ces jours... Il finirait par se compromettre ! Qui plus est, il avait le chic pour se mettre lui-même dans les ennuis. Il savait que parler de lui le mettait mal à l'aise et que généralement il l'évitait – mais non, voilà que là il décidait d'en parler. D'accord, un enfant était innocent et il n'allait pas se servir après ce qu'il lui disait à des fins mesquines, mais il posait beaucoup de questions. Des questions pas forcément pour mettre à l'aise les gens parce que justement la spontanéité allait avec l'enfance. Quand on était enfant on parlait sans se rendre compte que l'on pouvait être trop indiscret, et on réfléchissait seulement après.

Elle ne pouvait pas savoir qu'en posant des questions, elle enfonçait encore un peu le couteau dans la plaie mais il devait bien admettre qu'il l'avait cherché alors qu'à la base il avait juste voulu la rassurer. Elle ne pouvait pas savoir combien il était mal à l'aise d'en parler... Il faudrait cependant qu'il lui réponde enfin. Son cerveau tournait à plein régime. Le plus simple était de « détourner » un peu la vérité. Elle n'en saurait rien de toutes les façons. Parce qu'il était hors de question de lui parler de « loup-garous » au risque de l'effrayer encore plus. Hors de question. Après quelques secondes qui lui parurent affreusement longues, il finit par lui répondre :

« Son histoire est assez compliquée... Pour résumer les choses, un jour une vilaine personne lui a fait du mal... Beaucoup de mal, mais ça fait longtemps. Aujourd'hui il est grand... au moins comme moi. J'ai été l'un de ses amis, oui... mais je ne le vois pas trop souvent. De ce que je sais, il n'a pas d'enfants, mais il a toujours des amis. De bons amis. Quelques-uns seulement mais ce n'est pas le nombre qui compte mais la qualité... »

Ah... Elle avait déterré un secret de la vie, Ashley. C'était que le monde était rempli d'injustices e tous genres et que même, les coupables n'étaient pas toujours punis pour ce qu'ils faisaient. De nos jours c'était ainsi la justice du monde. C'était même l'une des raisons pour laquelle il en venait à ne pas croire en un Dieu qui régissait tout de là-haut. Non, c'était impossible... A son sens dans le monde, il y avait bien plus d'injustices que de coupables punis. Alors s'il y avait vraiment un dieu et une justice, il y aurait bien moins de crimes, bien moins de choses qui ne devraient pas exister...

Peut-être qu'il n'aurait pas dû maintenir finalement qu'il était heureux. C'est vrai que comment pouvait-il le savoir s'il ne le voyait guère souvent ? Quoique là encore, il n'avait pas dit qu'il ne le voyait jamais, mais qu'il ne le voyait « pas souvent ». Ce qui en soi faisait une grande différence... A défaut de répondre à Ashley qu'il le voyait chaque matin en se levant et chaque soir en se couchant, il ne le voyait pas très souvent ; ce qui n'excluait pas qu'il pouvait parfois le voir. Quant à son autre question...

« Il m'arrive de le croiser... Ce que je peux dire c'est qu'il a l'air d'aller bien en tous cas... »

De toutes les façons, Remus disait toujours aller bien même si c'était tout le contraire. Il ne voulait pas embêter les autres avec des histoires personnelles. A contrario, il écoutait tout le monde et restait assis à discuter avec eux. Jusqu'à ce qu'ils aillent mieux... Mais lui, qui s'occupait de lui ? Il n'aimait pas devoir compter sur les autres toujours pour le rassurer. Il s'était toujours montré comme une forteresse imprenable afin de mieux parvenir à dissimuler ses souffrances. Il avait appris à faire fi de son propre malheur pour aider les autres au mieux.

« La personne qui lui a fait mal court toujours en effet, même s'il faut toujours garder espoir qu'elle soit punie un jour... La vie se fonde sur ce principe même : l'Espoir. » En attendant, il avait le temps de tuer encore pleins de gens et de mordre beaucoup de petits enfants pour en faire des comme lui. Parce que son principal but était d'anéantir les sorciers tout en agrandissant l'effectif des loup-garous. Ainsi cela serait une façon de se venger des gens qui rejetaient les loup-garous...

Remus ne pouvait cautionner ceci, tout comme quelques-uns encore qui voulaient s'en sortir. Et en attendant, il leur faisait du tord... Beaucoup de tord aux yeux des sorciers qui en avaient peur. Un jour, il y aura un retournement de situation et la justice sera faîte, mais quand ? Parfois on était obligé de la prendre à deux mains. C'est pour cela que Remus en faisait une affaire personnelle et ne souhaitait qu'une chose : qu'ils se retrouvent un jour l'un en face de l'autre. Quoiqu'il en soit, la fillette était déjà très perspicace puisqu'elle avait deviné toute seule qu'il y avait des chance pour que celui qui avait fait mal « à son ami » n'ait pas été puni. Elle avait déjà une perception de la réalité différente des autres enfants...

Il n'avait donc jamais dit qu'il ne voyait jamais son ami, mais qu'il le voyait de temps en temps. Par conséquent, cela indiquait bien qu'il savait comment il se portait. Et à priori, il ne se portait pas pire qu'auparavant. Il se portait même très bien. Ce n'était guère important que les gens sachent si oui ou non on se sentait bien intérieurement ; le plus important était à son sens de ne pas les inquiéter. Tant qu'on tenait debout, qu'on savait marcher, qu'on continuait de se battre et tant que l'Espoir survivait en notre être, alors oui on allait bien. C'était ce qui lui avait toujours donné courage et cela continuerait ainsi pendant encore longtemps.

L'Espoir était une chose précieuse. C'était ce qui l'avait tenu pendant de longues années. L'espoir de se venger, l'espoir de pouvoir avoir une vie plus ou moins normale un jour ou si ce n'était pas pour lui, ce serait pour d'autres après lui. Dans vingt ans, dans trente ans. La société allait forcément évoluer...

Il gardait espoir qu'un jour il le rencontre à nouveau et ce jour-là, il comptait bien lui faire payer tout ce qu'il avait fait de mal dans sa vie. Ce n'était pas parce qu'on était « loup-garou » qu'on était condamné à faire le mal. On pouvait s'en sortir... On pouvait être fort. On pouvait se battre. Lui il avait choisi son camp, Remus aussi. Alors ils se combattrait et on verra qui gagnera. Ce n'était pas plus difficile que cela. Il suffisait d'attendre, attendre le moment. Il avait attendu plus de trente ans, un ou deux de plus ce n'était pas grand-chose. Il savait prendre son mal en patience. Mais un jour, il l'aurait. Cela faisait des années qu'il se l'était promis. Il tiendrait promesse.

Le lycan sortit ensuite de ses pensées pour entendre Ashley continuer dans un long monologue et dire que si elle le pouvait,  elle ferait un gros câlin pour qu'il se sente mieux parce qu'après un câlin, selon toujours elle, cela permettait de se sentir mieux. Remus rajouterait qu'en plus, cela faisait penser qu'on n'était pas seuls. Il l'admettait, même si pour sa part il n'était pas très porté câlin. Disons que cela le mettait mal à l'aise. Il ne savait pas y répondre. C'était comme pour les compliments... On ne savait jamais quoi y répondre, c'est vrai. On ne pouvait rien répondre à des compliments...

« Je te remercie pour lui dans ce cas. Je lui dirai que tu lui apportes son amitié la prochaine fois que je le verrais. » fit-il en esquissant un sourire. Au moins, il la rassurait sur ce fait. Il passera le message. « Mais ne t'inquiète pas trop, il sait qu'il a des gens qui le soutiennent. »

Il ne comprit pas du tout ce qui se passa ensuite. Il crut tout simplement qu'il l'avait imaginé. Apparemment, il y avait une dame qui s'était approchée et qui leur avait parlé. Il n'entendait qu'à moitié ce qu'elle disait parce que pour lui, c'était vraiment tout ce qu'il y avait de plus irréaliste. Il fut même tenté de jeter un coup d'oeil par-dessus son épaule au cas où elle s'adressait à quelqu'un qu'il cachait derrière lui. Il n'eut pas le temps de répondre, et confus, observa la femme s'éloigner. Confus parce qu'il savait au plus profond de lui qu'il n'aurait jamais d'enfants. Mais... Mais... Mais... Mais elle n'a rien compris... Pris au dépourvu, il ne répondit rien. Et puis sérieusement, il faudrait être myope pour croire qu'ils se ressemblent, pour croire que c'est lui le père... Non mais sérieusement ils n'ont absolument rien en commun. S'ils étaient père et fille, ce n'était pas obligé de se ressembler à 100% mais ils auraient forcément quelques points communs physiques. Il tourna la tête et observa Ashley qui avait l'air de trouver cela amusant. En même temps, c'était une enfant et comme tous les enfants, ils s'amusaient souvent pour pas grand-chose... On ne pouvait leur en vouloir.

« Oui, c'est étrange. On ne se ressemble pourtant pas du tout... C'est bizarre qu'elle ait cru ça... » Enfin, en ce qui le concerne en tous cas, c'était même flagrant qu'ils n'étaient pas du tout affiliés l'un à l'autre.

Sur ces mots, il jeta un coup d'oeil autour de lui avant de se relever et de chercher autour de lui les autres enfants de son orphelinat et les dames. Il les vit un peu plus loin. Le temps filait cependant mine de rien et il n'allait pas rester planté là toute la journée. Elle était bien mignonne, mais chacun avait sa vie... Ce qu'il en restait du moins. L'après-midi avançait sans même qu'il ne s'en rende compte.

« Je ne peux pas rester trop longtemps malheureusement. » Non pas qu'il avait beaucoup de choses à faire en fait une fois rentré chez lui, mais il ne pouvait pas rester l'importuner plus de temps non plus. « Tu devrais rejoindre tes camarades... Et être plus gentilles avec. Essaie au moins. Tu es dans un orphelinat à Londres ? » ajouta t-il par simple curiosité. Ou pas.